Le vent avait tourné. Le vif air du large avait laissé sa place à une bonne brise côtière qui gonflait les voiles de la fine corvette et la rapprochait sans cesse un peu plus de sa destination finale.
Il reignait une atmosphère tendue sur le pont. Les membres d'équipage de la Courtisane, qui avaient quitté leurs foyers depuis bientôt une année, étaient tout excités à l'idée de retrouver leurs proches. Qui ses parents, qui sa femme, ses enfants, oubien ses compagnons de beuveries; tous auraient des mains à serrer, des joues à baiser ou des verres à lever. Personne n'était plus capable de se consacrer exclusivement à sa tache : la moindre corde à tirer semblait comme lestée de boulets de plombs.
Les hommes avaient bien mérités ce repos tant espéré. Les obstacles avaient été difficiles à franchir, les sacrifices nombreux. De longs mois à naviguer sur des mers inconnues avaient sévèrement mis leurs nerfs à l'épreuve, et plus rien d'autre ne mobilisait leur attention que le fait de rentrer entier et les poches pleines de produits exotiques à la maison.
Le capitaine lui-même s'était laissé aller au détachement ambiant. Appuyé nonchalamment sur le bastingage du chateau de poupe, il semblait clairement absorbé dans ses pensées.
Les embruns fouettaient son visage. Tanné par l'action conjuguée du soleil et du sel, il semlait bien plus vieux qu'il l'était. De taille moyenne et de corpulence fine, il n'avait visiblement pas le physique de l'emploi.
Il se dégageait pourtant de sa personne une certaine sérénité, une assurance affirmée, une autorité naturelle, spontanée, indiscutable.
Une clameur soudaine retenti sur le pont, suivie d'une série de cris de joie qui le firent sortir de sa torpeur.
Il se redressa, s'étira comme un chat dans un long baillement, puis, au milieu des exclamations, se tourna lentement vers la proue de son navire:
La silhouette du Kolvir se devinait à l'horizon.