Bon, ce coup-ci, ça rigole plus...

Entrée de Fiona, donc. Qui occupe l'espace, et fait mine d'hésiter avant de s'installer dans un coin où elle peut voir presque tout le monde, tout en contraignant les autres de faire un effort s'ils veulent l'écouter ou la regarder. C'est tellement grossier comme méthode que Julian en sourit.


"Je vois que, comme toujours, il y a ceux qui croient nécessaire d'arriver en avance, et ceux qui jugent utiles de faire tout pour arriver en dernier, lâche Fiona avec un grand sourire une fois installée. J'ai presque honte d'arriver juste à l'heure prévue...

Silence de quelques secondes, que vient rompre la voix posée de Bénédict.

- Nous attendons le roi, mais si tu as des éléments sur lesquels tu pourrais nous apporter quelques lumières, tu es la bienvenue.

- Je doute que cela soit utile. Vous avez sûrement déjà vu tout cela entre vous. Il faut garder de la place pour le plat de résistance. Il promet, m'a-t-on laissé dire...

- Des problèmes de fuites, oui, lance Gérard pour qui la rhétorique doit être une recette de cuisine. Le problème de la confiance que l'on place mal. Je n'imaginais pas que l'on puisse en être là dans une situation comme la nôtre. Visiblement remonté le tonton.

- Très vrai, approuve Delwin. Nous sommes entre parents. Comment se peut-il qu'il puisse y avoir tant de dissentions entre nous, même des trahisons ?"

Pendant deux secondes, il y a un silence où se mélangent la surprise et désarroi, avant que ce salaud n'esquisse un léger plissement de lèvres.

Je me contente de suivre l'échange avec une curiosité ostensible.

j'en profite pour glisser un petit sourire à ma cousine préférée.

Après quelques instants où tout le monde semble se demander comment relancer un aperçu de discussion, Flora se décide :

- Vous disiez donc que la flotte est perdue... Sa voix est teintée d'effroi.

- Perdue, peut-être pas, mais en tout cas hors de portée, déclare calmement Gérard. Nous avons encore quelques navires en mer d'Ambre, mais si l'ennemi nous attaque par la mer comme c'est ce qui est prévu, il est assuré qu'il réussira son débarquement si celui-ci est massif. Leurs embarcations ne font pas le poids face à nos vaisseaux de guerre, mais en large supériorité numérique, tout en acceptant des pertes, elles n'auront aucun mal à éliminer nos bâtiments. Les escadres côtières se contenteront de harcellements, surtout dans la dernière phase du débarquement...

- Et si... Flora fait mine de réfléchir... l'ennemi trouvait un autre moyen d'attaquer ?

- Dans ce cas, déclare fermement Bénédict, si son attaque est physique nous réagirons selon les divers plans de défense programmés en cas d'attaque surprise. Le nombre de ses options s'est singulièrement réduit, cependant. Hors de la mer et de l'Arden, où il est nettement tenu en échec, on peut envisager l'attaque aérienne et l'attaque magique ou interdimensionnelle. La première est envisagée. La seconde nécessite, avant toute chose, la sécurisation de la Marelle primale, les ripostes risquant d'être alors davantage improvisées".

Installée comme au spectacle, je me tiens coite pour le moment. Ecoutant et, surtout, observant les réactions de chacun.

Alors que Bénédict et Gérard exposent des possibilités de réaction en cas d'attaque résolument magique, que ce soit à coups de boules de feu tombant du ciel ou un procédé plus subtil - et là, on voit bien que nos deux amis, sans dire qu'ils pataugent dans la semoule, sont tout de même hors de leur domaine de compétence principal - la porte s'ouvre enfin pour le couple royal, que suit de près Martin.

Random a les yeux du type qui s'est bien énervé, ce qui contraste avec la mine toujours calme et légèrement souriante de la reine.
Martin, qui a retrouvé une coiffure très semblable à celle de son père (pour le meilleur niveau quantité de cheveux, et le pire niveau ordonnance du tout), ne respire pas la grande forme, et montre par son attitude qu'il n'ignore pas que le pire reste à venir...

Random s'installe sur le bras d'un fauteil avant de parler, sans introduction d'aucune sorte.


- On a fait le tour de la question. Peut-être que ça nous servira à rien pour l'affaire en cours, peut-être aussi que le vrai côtoie le faux dans ce qui va être dit. Sûrement que, maintenant qu'on est à l'aube de la bataille, nous aurons d'autres chats à fouetter sous peu.
En tout cas, même si c'est pas une surprise, voilà un exemple de ce qui peut arriver quand, en période de crise, on tire dans d'autres directions. Surtout quand on n'a pas les bras pour tenir l'arme.

Maintenant Martin, tu vas nous raconter toute l'affaire..."


Visiblement, le brave Martin rechigne, mais le regard mauvais de Random autant qu'un geste d'encouragement ferme de la reine l'amènent à se tourner vers vous en soupirant. Assis sur une chaise presque au centre de la pièce, il est dans la parfaite position pour focaliser toutes les attentions.


"Bien... Alors tout a commencé il y a un peu plus de dix ans, après que certains d'entre vous aient tenté de m'éviscérer pour jouer à l'effaçage de Marelle..."

Belle tentative, mais Fiona reste de marbre. Martin, qui a laissé passé deux secondes, juste histoire de voir, continue.


- Bref... Comme la plupart d'entre vous le savent sûrement, j'ai, entre le moment où il m'est arrivé ceci et ai été retrouvé par mon père, fréquenté Dara et Merlin. C'est avec eux que j'ai passé le plus de temps et participé, dans la mesure de mes moyens, aux actions de la guerre de la Marelle.

Cependant, ils ne furent pas les seules de mes relations.


J'ai également eu l'occasion de rencontrer... comment dire... d'autres Ambriens. Ou, plus exactement, des personnes disposant elles-aussi du pouvoir de la Marelle sur les Ombres. La première fois qu'elles sont entrées en contact avec moi, j'étais en compagnie de Dara. Cette dernière a paru aussi surprise que moi.
Ils n'étaient que deux, un homme et une femme, mais ont laissé entendre qu'ils faisaient partie d'une fraternité plus vaste. Ils se sont présentés sous les noms d'Ixion et Béatrice. J'ignore s'il s'agit de leurs vrais noms...

Une certaine agitation s'empare de la famille. Tout le monde regarde tout le monde. Fiona, Llewella, Random et Bénédict jaugent les réactions ; Julian et Delwin grimacent ; Gérard et Flora s'efforcent de limiter leur surprise. Martin en rajoute en insistant sur sa pause...

Et moi je ne cache pas mon agacement...

Sur un soupir, Martin reprend.

- Ces personnes nous ont abordés de manière fort sympathique. Ils nous ont avancé que, en tant que fils d'Ambre abandonnés par notre famille, nous pouvions si nous le désirions les rejoindre. Leur compagnie vivait dans les Ombres depuis fort longtemps, et...

- Une minute, intervient Fiona. Qu'est-ce que cette histoire ?

- En effet, grogne Julian. Je ne vois pas le rapport avec ce qui nous concerne...

- Ce n'est pas du tout ce que je veux dire ! reprend sa soeur. Si cela est vrai, c'est une révélation pour le moins...

- Oui, tranche Random, fracassante, pour sûr. Mais je donne raison à Julian : ce n'est pas le sujet principal, même s'il était nécessaire d'en parler. Nous aurons en tout cas de quoi faire lorsque tout sera réglé par ailleurs.
Seulement maintenant, j'aimerais que l'on n'intervienne plus sur cette histoire : considérons là comme un fait nouveau, mais acquis.

- J'ai tout de même une question, dit doucement Delwin : comment être sûr qu'il s'agissait bien d'héritiers d'Ambre ?

- Très simplement, dit Martin. Ils n'ont pas été avares pour nous montrer leur parfaite maîtrise de la Marelle. Tous ceux que j'ai rencontrés ont déclaré l'avoir franchie à Tir na-Nog'th...

- Une vraie passoire, cette Cité lunaire, lance tranquillement Julian. Il va falloir sérieusement songer à établir devant les marches une garnison permanente, sans quoi on n'a pas fini de croiser enfants perdus et autres bâtards..."

Je me contente juste d'esquisser un sourire en coin.

Je reste debout, bras croisés. J'appuie nonchalamment mon dos ainsi que la semelle de ma botte contre la boiserie du mur qui me supporte.

J'affiche un air ouvertement triomphant.

Je reste assise, impassible, le spectacle promet d'être de qualité.

Après que tout le monde se soit plus ou moins calmé, Martin reprend, sans se presser outre mesure.


- J'avoue que j'étais plutôt curieux. Les semaines suivantes n'ont pas été de tout repos, cependant : apparemment, ceux qui nous ont accompagné ont été informés de la véritable identité de Dara en cours de route, et celle-ci a dû s'échapper précipitamment.
Moi-même ait été interrogé, de manière plutôt sèche... mais pour une raison ou une autre ils n'ont pas insisté, et à par à ce moment ont été des plus attentionnés à mon égard. Comme je ne savais pas trop où aller, je n'ai pas tenté de m'enfuir.
Au final, j'ai pu rencontrer six membres de ce groupe, et leurs paroles ont clairement laissé dire qu'ils étaient bien plus nombreux...

Random tape du pied.

- Au total, je suis resté plusieurs mois en leur compagnie. Alors que la guerre de la Marelle faisait rage, ils luttaient à travers les Ombres contre les effets de la route noire, ce qui me plaisait plutôt. A mes yeux, ils oeuvraient clairement pour une cause juste.
Je me suis notamment lié d'amitié avec l'un d'eux, qui se faisaient appeler "Ved". Il ignorait qui était son père, et était, comme moi, une recrue récente, sauf que lui n'avait pas encore eu l'occasion de franchir la Marelle, ce qui lui était difficile à faire à ce moment-là.

Ca n'a pas été un choix heureux : en réalité, Ved n'était pas des nôtres. Incontestablement, il possédait un pouvoir qui pouvait nous tromper, mais ce n'était en rien celui de la Marelle à l'état latent. Malgré l'aide qu'il nous avait apportée, une embuscade lui fut tendue : il abattit deux membres de la bande avant d'être capturé.
Cela ne servit pas à grand chose : le lendemain il avait disparu sans laisser de traces.

Quelques jours plus tard, alors que nous étions dans une Ombre attaqué par les troupes du Chaos, l'Ombre s'est comme déchirée : aussitôt, une troupes de guerriers a surgi, menée par un homme en armure argentée et par Ved. Le combat fut meurtrier : le guerrier en armure liquida trois des jeunes héritiers de la Marelle, les survivants devant s'enfuir. Au cours de l'affrontement, Ved m'a pris à part et, après une courte passe d'armes, m'a vaincu. Au lieu de m'achever, il m'a entraîné dans un mouvement d'Ombres très étrange, brutal, bien plus proche de celui des Atouts que de la Marelle...


Martin s'arrête quelques secondes.

- Ce "Ved" est connu, au moins de vue, de la plupart d'entre vous. C'est lui qui a été représenté en buste d'argile dans l'atelier de Vialle. Celui dont le nom d'usage le plus courant, même s'il n'est pas le seul ni le vrai, est Trick..."

Je reste appuyé, bras croisés, contre mon mur. Peinard.

Si je n'ai pas à me lever pour ça, je me sers un verre. C'est qu'il va y avoir un paquet de révélations à venir encore...

Pendant que Martin débite, sur un ton un peu monocorde, Flora s'est levée et, quoique attentive, semble avoir eu son réflexe atavique de faire en sorte que tout se passe de manière civilisée et a déployé bouteilles diverses et verres autour de la table. Pour un peu, elle ferait le service si elle ne se rendait pas compte que la plupart de ses parents sont encore à l'écoute de Martin.

- C'est alors que les choses se compliquent. Ved s'est comporté avec moi comme si rien ne s'était passé. Blessé, mes tentatives d'évasion ont échoué, et de toute façon j'ai très vite été présenté à une autre personne.

L'homme semblait parfaitement informé de nombre de choses concernant mon passé, mon père et Ambre. Il a évoqué le fait que, par le rôle que j'avais pris involontairement dans la destruction de la Marelle, il était vraisemblable que je devienne important à l'avenir, et m'a invité à développer certaines capacités. Ved et lui travaillaient d'évidence de concert à quelque projet : nous étions alors dans une Ombre étrange, une sorte d'île entourée de brumes et de tempêtes. J'y suis demeuré deux mois environ, pendant lesquels j'ai créé mes premiers Atouts personnels - après en avoir étudié les principes avec Merlin - et participé à quelques expériences sur les Ombres, usant autant de la Marelle que du pouvoir montré par Ved. Même s'il n'y avait pas cette sorte de fraternité que je commençais à ressentir avec mes précédents associés, c'était la première fois que je voyais des pouvoirs très puissants à l'oeuvre.
La première fois aussi que l'on me considérait comme membre d'un complot, sur un pied d'égalité, même si les objectifs, alors, n'étaient guère clairs.

Finalement, notre hôte m'a fait revenir dans les Ombres. Je devais retrouver mon père et m'intégrer autant que possible à Ambre.
Ved ne le pouvait pas : son pouvoir n'était pas celui de la Marelle. Son compagnon, quant à lui, était dans une situation différente : à ce moment, tout le monde le croyait mort, et il n'avait pas de raison pour que cela change.

Cet homme était Caine..."

Allez, jusqu'ici rien de vraiment surprenant.

Je commence à afficher une mine ouvertement lassée... Je perds mon temps à entendre confirmer des choses que je savais ou dont je me doutais. J'ai tiqué à deux ou trois reprises, comme pour faire un commentaire, au point que celà se voit.

Mais je demeure contre mon mur. Cette histoire commence à ne plus me faire rire. Je fronce les sourcils en direction des aînés.

Bien qu'ayant un verre plein à la main, je n'y ai pas encore porté les lèvres, ni fait tourner son contenu ou autre jeu d'ailleurs. Je reste particulièrement attentive, tant au récit bien sûr, qu'aux réactions de ma famille, si sur un maltendu l'un d'eux devait avoir une réaction un peu surjouée...

Bénédict, Llewella et Vialle demeurent indéchiffrables. Random et Fiona font mine d'écouter, mais sont eux aussi davantage intéressés par ce qui se passe autour que par le récit lui-même. Julian a l'air sombre, Delwin est attentif et sans sourire narquois. Gérard et Flora semblent vouloir poser des questions, mais se retiennent.

Du coup, Martin poursuit.


- Avec la fin de la guerre de la Marelle et le retour de Caine, l'affaire perdit de son activité. Nous eûmes encore quelques rencontres, fîmes quelques expérimentations, mais avec bien moins d'intensité...

- Une minute, finit tout de même par lâcher Gérard. Quelle était la finalité de toute cette comédie ? Qu'il y ait des intrigues, des complots, cela ne me surprend guère. Mais quel intérêt ? Une nouvelle arme secrète ? L'analyse d'une menace que vous seuls ressentiez ?

- Je... vais y venir, hésite un moment Martin.
Comme je le disais donc, les rencontres avec Caine et Ved se firent moins fréquentes. J'en profitais pour passer mon temps entre Ambre et les Ombres, entre autres choses pour améliorer certaines de mes capacités.
Il était apparu en effet que, si elle n'existait plus à proprement parler depuis la reconstruction de la Marelle, je parvenais encore à ressentir les réminiscences de la Route noire et même à les utiliser pour... certains effets. Ved l'avait plus ou moins deviné : apparemment, le sang que j'avais versé sur la Marelle avait laissé une trace, malgré tout, et il était dans mes capacités d'user de cette empreinte selon le procédé utilisé par Ved : la courbure de deux dimensions, pour produire un déchaînement d'énergie ou, éventuellement, ouvrir un portail.
Ce n'est qu'alors que j'ai vraiment compris la cause de mon implication dans le complot. Celui-ci allait alors connaître un rebondissement étonnant.


"Nous arrivons à il y a six ans. Alors qu'il se trouve dans le Cercle d'or, Caine est victime d'une attaque et mortellement blessé d'une balle tirée par le fils de Brand, le dénommé Rinaldo aujourd'hui roi dans ce même Cercle d'Or...

- Oh, s'exclame Fiona, je n'ose y croire. Quelqu'un va enfin nous dévoiler ce qui a bien pu faire que Caine, attaqué par surprise, ait pu survivre...

- Oui, fabuleux, reprend Julian. Mais je ne vois toujours pas le moindre rapport avec ce qui se passe ici.

- Il y a au moins quelque chose de clair, dit doucement Llewella. Ce "Ved", ou quelque soit son nom, fait partie de nos ennemis, et utilise donc un pouvoir particulier, différent de la Marelle et du Logrus, et qui manipule les multiples dimensions nées de la convergence de ces pouvoirs. S'il y a une chose positive à en tirer, c'est...

- ... que, interrompt Fiona, qui se fait du coup foudroyer du regard, à moins qu'elle ne soit endommagée, la Marelle repoussant les influences de tous les autres pouvoirs, il est techniquement impossible que ce jeu sur les dimensions soit utilisable à proximité du Kolvir...

- En tout cas, ricane Julian, entre Martin qui complote et use de super-pouvoirs venus d'on ne sait où, et Caine qu'on laisse faire, pratiquement sous le seul prétexte qu'on a tellement l'habitude de ses sales histoires que le pli s'est fait, on félicitera notre clairvoyance à tous.

Tu évites les regards foudroyants par une intervention tranchante de Random.

- Oui. Le plus beau est à venir...

Martin, sous pression, reprend.

- Bien évidemment, Caine n'était pas mort. En vérité, il n'était même pas blessé. C'est à ce moment là que la véritable nature du complot qu'il menait avec Ved s'est révélée à moi.

D'abord, il a été prévenu de cette attaque, d'une manière fort simple.
Il est apparu que Rinaldo était, lui aussi, associé à la fraternité des fils perdus d'Ambre. Ces derniers, dans la traque qu'ils menaient contre Ved, étaient semble-t-il parvenus à percer à jour la complicité de Caine et soupçonnaient celui-ci d'être le responsable principal de l'attaque qui avait coûté la vie à nombre d'entre eux - ce qui d'ailleurs au passage n'était pas le cas : Ved avait en réalité fait appel à l'un de ses alliés, de ceux qui nous attaquent aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, sous couvert d'une vendetta personnelle qui l'amènera à improviser aussi des attentats contre Bleys et Merlin pour brouiller les pistes, Rinaldo a reçu l'ordre d'éliminer Caine.
Manque de chance, votre serviteur, en qui certains membres de la fraternité gardaient confiance, a été prévenu de cette attaque. J'ai donc comme de juste prévenu Caine. Ma surprise fut d'autant plus grande lorsque j'ai appris que l'attentat avait semble-t-il réussi.

Tout le monde aujourd'hui pensent que Caine n'a rien fait d'autre que d'user de son vieux stratagème : s'échanger contre une des ombres de lui-même. Ce n'était pas le cas... enfin, pas tout à fait.
En réalité, Caine et Ved oeuvraient ensemble dans un but : combiner les pouvoirs de la Marelle et la maîtrise des ruptures dimensionnelles. L'une des principales réalisations, la seule parfaitement réussie en fait, est de pouvoir... cloner n'importe quelle forme de vie, avec une perfection quasi-absolue. Les pouvoirs, les capacités sont eux aussi reproduits. Ved ou Caine pouvaient ensuite user de leurs pouvoirs pour remodeler à leur convenance la personnalité du clone.
Le processus est long, mais il est théoriquement possible de faire naître une véritable armée de tels êtres.


Gros silence. C'est davantage le doute cependant qui règne.


- Apparemment, la technique n'était encore que vaguement au point, et c'est un clone imparfait que Caine a envoyé à la mort lors de l'attentat. Personne ne s'est rendu compte de rien cependant, et plus encore même après son retour personne n'a cherché à remonter la piste, tant l'astuce ressemblait fort à du comique de répétition.

Caine ne m'a pas révélé son objectif réel concernant ce projet. Il m'a néanmoins expliqué les raisons de ma présence : pour Ved, il s'agissait de trouver un cobaye, à la fois peu puissant mais disposant d'un potentiel susceptible de faire un clone parfait, la base d'une armée pouvant maîtriser autant la Marelle que le pouvoir issu de la Route noire.
Mais Caine avait quant à lui un autre but : comme il n'ignorait pas que Ved était, avant tout, dans le camp d'ennemis d'Ambre, son idée principale était de s'en débarasser à terme, mais il voulait avant cela être sûr que je disposerais d'un pouvoir susceptible de remplacer le sien...


Caine cependant, et Ved de même, ont été alors devancés. Il y a environ un an, Ved a annoncé que les siens - dont je ne connaissais, et ne connaîs d'ailleurs toujours, que bien peu de choses sinon les pouvoirs qu'en a montré Ved - les siens, donc, étaient sur le point d'entrer en guerre contre Ambre. Apparemment, leur univers était menacé par de graves perturbations qui touchaient sa structure même, et un des membres de la famille d'Ambre y avait été retrouvé.
Depuis ce moment, nous avons cessé de nous rencontrer. Caine a choisi de quitter sa tombe pour revenir en Ambre, sans que je ne comprenne bien son choix. Ved s'est éclipsé, mais semble avoir pris contact de manières différentes avec plusieurs parents, là encore sans que j'ai d'explications valables.

Quant à moi... à vrai dire le fait de disposer d'un pouvoir bien spécifique me suffisait amplement. J'aurais préféré que cela demeure caché, mais j'imagine que pour mon propre bien il vaut mieux que je déballe tout, maintenant.
En tout cas, je n'ai jamais cherché à nuire à Ambre...


- Ce dernier point, lâche vertement Random, est à considérer..."

- En tout cas, les armées de l'ennemi ne sont certainement pas composées de clones d'Ambriens... dit Julian.

- Même si ce procédé est peut-être réel, son usage me paraît pour le moins douteux, déclare fermement Fiona. Il est moins que probable que l'on puisse ainsi reproduire des êtres réels à l'identique, quels que soient les pouvoirs mis en oeuvre. Cette sorte de "super-conjuration" doit être impressionnante, mais sa portée réelle n'est sûrement pas si grande.

- De plus, intervient Delwin, Martin l'a indiqué : ce n'était qu'un des aspects des expériences tentées par Caine et ses complices. J'aimerais bien savoir quelles étaient les autres...

Martin, indirectement interpelé, reprend donc, nerveux.

- Il y avait beaucoup de choses. L'essentiel tournait autour de la maîtrise des tempêtes d'ombre... et aussi dans le contrôle de certains effets destructeurs causés par les fusions d'ombres...

- Je saisis mieux pourquoi ce Ved avait ce comportement, dit Gérard. Voyant que son maître, notre ennemi actuel, disposait de ce genre de capacités, il a dû être tenté de les maîtriser à son tour et n'a trouvé comme moyen que d'entretenir une coopération secrète avec l'un des nôtres, celui-là même qui était le plus facile à corrompre...

Il y a une hésitation générale. Peut-être tous songent-ils à ce qu'ils auraient fait si une telle offre leur avait été faite.

- Ces révélations, déclare Bénédict, si l'on part du principe de leur véracité, nous enseignent surtout des choses quant à des menaces auxiliaires à notre problème principal. Pour ce dernier, nous n'en tirons qu'un aperçu des possibilités de notre ennemi.

- Si ceux qui menacent Ambre, dit calmement Fiona, disposent des pouvoirs décrits comme étant ceux de Ved, je dirais que leur offensive sur le plan d'Ambre est plus que risquée pour eux. A une condition.

Elle se tourne vers Martin.

- Je suppose que tes fréquentes expéditions dans la vallée du Garnath n'étaient pas que pour pique-niquer ?
- Je... (il rougit terriblement, avec la mine de celui qui vient de commettre un crime horrible en étant pris la main dans le sac)
- Une seule réponse : es-tu parvenu à utiliser les pouvoirs que tu dis maîtriser lorsque tu t'y trouvais ?

Martin grimace. Fiona se dresse, se rapproche. Réitère sa question. Martin la fixe, l'air appeuré. La pièce semble ne plus tourner qu'autour d'eux.

- Es-tu parvenu à utiliser tes pouvoirs ?
C'est la troisième répétition. Ce sera la dernière. La sueur perle sur le front de Martin, qui finit par cracher le morceau en gémissant.

- Non ! Malgré tous mes efforts...


La tête du fils de Random tombe sur sa poitrine, comme si elle était soudain relâchée après une prise brutale.

Fiona s'appuie sur le dossier d'une chaise vide avant de reprendre.

- Si le pouvoir de Martin, basé sur la maîtrise des énergies relatives entre le plan d'Ambre et celui rémanant de la route noire, ne parvient pas à quoi que ce soit alors même que Garnath était le reflet même de la partie effacée de la Marelle, c'est que...

- ... la Marelle repousse ces dimensions parasites aux périphéries d'Ambre, reprend de volée Llewella, visiblement rancunière sur le temps de parole. Cela confirme que notre ennemi est dans l'incapacité de frapper directement la cité, le Kolvir ou la Marelle primale.


Les réflexions demeurent, mais il y a, surtout chez les plus expressifs comme Gérard et Flora, une forme de soulagement.

- Si c'est bien le cas, décrète Julian, alors cela confirmerait que nous n'aurions à craindre qu'une attaque physique, d'une ampleur certes considérable, mais rien que physique...

- Peut-être font-ils cela car, avec leurs clones, ils disposent d'une armée infinie... dit Flora en frémissant.

- Bah, nous aussi, après tout, dit Julian. Si les Ombres sont infinies, ce n'est pas pour rien..."

J'apostrophe Delwin à la cantonade :

Qu'est-ce qui se serait passé si je t'avais fait entrer en Ambre sans prendre la peine d'avertir Benedict?

Profitant de ce rebondissement, j'avale une gorgée avant que Delwin ne puisse répondre.

Sourire énigmatique.

- Je n'en sais rien. Sûrement aurais-je immédiatement comploté la destruction de la Marelle. Heureusement que tu m'en as empêché...

Visiblement, personne n'a envie de rire.

- Quelle que soit l'évaluation du risque en cours, il est nécessaire cependant que la Marelle primale soit défendue, pour la plus élémentaire prévention, dit Bénédict.

- Cela a déjà été prévu, dit Random avec un signe de tête vers Fiona qui grimace.

- Nos forces ont reçu toutes les instructions nécessaires pour pouvoir agir en toute autonomie. Je demeurerai au pied du Kolvir. J'espère que la communication par Atouts pourra être rétabli, autrement nous utiliserons les signaux lumineux et les estafettes.

- D'après ce que j'ai vu, les opérations de regroupement de la population se sont déroulées correctement, dit Gérard qui apprécie visiblement qu'on en revienne aux problèmes pratiques.

- Il y a intérêt à ce que les surprises ne soient pas trop nombreuses si les Atouts nous manquent, en tout cas, assène à nouveau Julian.

- Et... que faisons-nous de Martin ? dit doucement Flora.

- On le garde sous la main, au Palais. Sûrement qu'un peu de temps lui permettra de se souvenir d'autres détails que l'émotion aurait pu lui faire oublier aujourd'hui".

Je n'ai rien à ajouter. Si Benedict a délibérément choisi de changer de conversation, je m'y soumet de bonne grâce.