Episode 9 : Et maintenant, que vais-je faire ?

Le duc t'observe avec attention, mais également assez d'habileté pour ne pas se mettre en défaut ou t'indisposer trop ouvertement.

- Je n'en ai pas la moindre idée. Même si le fait d'être à la tête d'une maison mineure vous rend souvent mieux informé que beaucoup de personnes d'un rang plus auguste, je n'ai rien su d'une venue récente du seigneur Bleys dans les Cours.
Votre père ? demande-t-il avec une apparente franchise.

"Oui, réponds-je avec la même apparente franchise.

"Mais vous semblez le connaître, au moins de nom. Est-il particulièrement connu aux Cours ou en est-il de même pour tous les ainés d'Ambre ?"

Le Duc ne se laisse pas trahir par la moindre expression parasite.

- Je ne le connais pas personnellement, mais il est connu dans les Cours. Il y est demeuré un certain temps avec la guerre de la Marelle, et, à ma connaissance, est revenu plusieurs fois.

Jamais pour des raisons officielles, mais il n'a jamais tenté de cacher sa présence.

Il rit.

- Il aurait d'ailleurs sûrement eu du mal, n'étant visiblement pas de ce genre de personne.

Je rie doucement avec lui.

"Effectivement, il n'est pas du genre à cacher son Âuguuuuste présence."

Puis après quelques banalités j'embraie sur un autre sujet.

"J'ai, admirant l'intérieur de votre château, débouché par erreur sur votre bibliothèque. L'utilisez-vous encore ? Il doit falloir une patience infinie pour trouver là ce que l'on cherche ! Ou peut-être suis-je trop habitué à la présence d'une bibliothécaire telle qu'on en trouve en Ambre ?"

Il y a un bref échange de regard avec Ida, mais tu ne saurais dire si cela a un rapport avec ce que tu viens de dire, ou si c'est un message discrètement passé.

- Nous l'utilisons encore, bien sûr... Mais il est vrai que je n'y prête pas tout le soin qu'elle mériterait...

Je continue sur des banalités.

Le duc enchaîne sur tes propres banalités, et s'y débrouille fort correctement.
Alors qu'on arrive déjà aux desserts, il coupe court à une série d'anecdotes d'un intérêt limité pour revenir à Ambre.

- Mais j'y pense, Ida m'a fait savoir que des préparatifs militaires étaient en cours à Ambre. Qu'en est-il donc ?

Nullement troublé, je réponds à sa question.

"Eh bien comme souvent un ennemi inconnu sort des ombres et essaie de prendre Ambre. Certains pronostiquent que s'il réussi il irait ensuite attaquer les Cours du Chaos, mais il est à espérer pour l'univers que l'on n'en arrive pas là.

Ceci dis, si vous souhaitez participer à cette guerre je pense que certains à Ambre pourraient être ravis de voir arriver du renfort des Cours."

- Oh, je doute que mon intervention soit du moindre poids dans un conflit, quel qu'il soit. Nos passes ont été le théâtre de la plus grande bataille de notre temps, sans que nous ayons fait quoi que ce soit pour cela. Je crois que nous avons l'art de passer les époques de guerre, ce qui évite les décès inutiles...


Ida n'aime pas la tournure de la conversation et le montre, alors que le duc a un sourire torve dont tu ne diagnostiques pas le sens.

"C'est effectivement un talent bien utile même si hélas les morts douloureuses peuvent arriver même hors des guerres..."

Je prends en disant ces paroles un visage sombre, triste, comme hanté par la mémoire d'amis et d'autres être chers perdus en vain.

Ida, qui n'a visiblement pas goûté la dernière intervention de son grand-père, se permet un commentaire assez acerbe - quoique dit d'un ton qui semble des plus léger et charmant.

- Nous évitons les morts inutiles, peut-être, mais pas les morts tout court. On peut même dire que nous en avons eu notre lot.

Le duc la regarde un moment. Il ne montre pas de sentiment particulier, mais il demande peu après une bouteille de digestif, ce qui peut vouloir dire n'importe quoi.

Je mange discrètement en attendant de voir comment il va relancer la conversation.

Il y a un moment de flottement évident. On sent bien que le Duc voudrait obtenir quelque chose de toi : il le laisse entendre mais ne pose pas la question directement.
Visiblement, Ida est autant dans l'expectative que toi, ne semblant pas savoir ce que cherche son grand-père.


Commençant à faire servir un alcool jaunâtre dans de petits verres, le Duc reprend tranquillement la parole.

- Et donc, vous avez vu notre oracle. Y avez-vous trouvé matière à réflexion ?

Avant que le duc ne puisse réagir - et on se demande bien ce qu'il aurait pu dire, vu que c'est pratiquement ce qu'il a lui même avancé tout à l'heure - sa petite-fille intervient, visiblement touchée par les paroles.

- Il ne faut pas la sous-estimer. Tout ce qu'elle dit n'est pas essentiel, et c'est toujours assez vague. Mais les messages ne sont jamais obscurs et sont souvent pertinents. Elle n'est pas réputée dans toutes les Cours pour rien.

Le duc de Coris se permet de sourire.

- Ne l'avais-je pas dit. Elle est peut-être la seule à s'y intéresser encore...

- La seule, vraiment ? rétorque sans attendre Ida en retrouvant un sourire indéfinissable.

J'attends la réponse du grand-père aux paroles d'Ida.

Pas de réponse, en fait. Vues son attitude et celle d'Ida, tu crois deviner que s'il y a une autre personne qui s'intéresse à ce sacré oracle, ce n'est nul autre que lui-même.

Je me tourne donc vers le grand-père d'Ida.

"Alors vous aussi avez été quelque peu déçu par l'imprécision de ses réponses ?"

Coris reste aimable, mais semble ici ne pas vouloir creuser davantage le sujet.

- C'est une histoire assez complexe, et probablement trop longue pour notre soirée présente... Une autre fois peut-être.

Il se lève tranquillement.

- Je vais devoir briffer un émissaire pour Thelbane demain, rapport aux derniers développements de notre prochaine future guerre civile. Je me permets donc de mettre fin à cette soirée. J'ose espérer que vous allez profiter de notre hospitalité ?

Je me lève aussi pour le saluer le plus cordialement que je le puis.

"Je vous remercie pour votre hospitalité messire Coris et l'accepte bien volontiers."

Puis je reste finir le repas avec Ida si celle-ci ne s'en va pas aussi.

Le duc se retire après avoir salué sa petite fille d'une accolade qui paraît tout à fait sincère (tu as presque le malaise tellement tu n'es pas habitué à ce genre de choses en Ambre).

Ida reste à table, mais hors de quelques sourires et banalités, elle semble attendre plus qu'autre chose.

"J'ai l'impression que le Duc de Coris a été par le passé quelque peu déçu par les prédictions de l'Oracle tout proche. Me tromperais-je ?"

Elle hausse les épaules.

- Je ne connais pas le fin mot de l'affaire. D'après ma soeur, il faudrait plutôt mettre cela sur le compte du fait que l'oracle ne fut pas toujours une femme recroquevillée dans une tour, mais une femme tout court...
Ca me paraît un peu douteux, mais Laurianna aime ce genre d'histoire et l'a sûrement entièrement imaginée.

Elle te regarde un court instant.

- Je ne sais pas pourquoi elle vous a fait amener ici, en vérité, et moins encore pourquoi grand-père semble tant s'amuser de la situation. Aux dernières nouvelles dont j'ai eu accès, les maisons allaient se réunir pour débattre des troubles issus des attentats commis en Ambre. Et ce n'était pas motif de réjouissance...

Son sourire est étrange. Pas forcé, mais tu ne l'avais pas encore vu ainsi. L'impression est qu'elle n'est pas particulièrement détendue sur le sujet.

- Nous différons sur de nombreux points. Pour ce qui est de son charme... j'avoue qu'elle en a sûrement, même si tout doit dépendre du goût de chacun...