Episode 9 : Et maintenant, que vais-je faire ?

Les Passes de Coris sont décidément un lieu bien singulier : prairies, champs de blé, troupeaux de... enfin, de bestioles ressemblant plus ou moins à des bovins et ovins, bourgs ruraux très semblables à ceux de l'autre côté de la réalité. Même les habitants sont de forme humaine (même s'ils sont en réalité des démons ou créatures apparentées).

Il n'y a qu'à votre approche de l'énorme gouffre des Abysses que le paysage prend un aspect différent : le ciel se teinte de noirceur, là où il n'était que multitude de couleurs. Tu ressens très nettement l'énergie étrange qui gronde autour de ce lieu bien connu en Ambre ne serait-ce que par ouï dire (il faut dire que tu n'es pas très loin du champ de bataille où s'est terminée il y a dix ans la guerre de la Marelle).

Ida te montre un lieu tout proche : sur une petite colline se dresse un château tout ce qu'il y a de plus traditionnel, de bonne taille, en pierres blanches.

- Voici le château de notre famille".

- Nos Passes, en dépit de leur proximité de l'Abîme, sont sur un plan primal, une Ombre d'un seul tenant là où la plupart des autres espaces des Cours sont bâtis sur des structures d'Ombre complexes et instables, soumis en permanence aux vagues du Chaos.

"Quant au style... ma foi mon grand père semble avoir toujours aimé la verdure et les campagnes de vos Ombres, j'avoue ne m'être jamais posé la question. Par chez nous, c'est plutôt une marque d'excentricité, le genre de celle que peuvent se permettre les petites maisons..."


Ce qu'elle appelle "excentricité" est tout de même assez singulier : des paysans qui cultivent, des chevaliers en armure rutilante qui vous saluent en passant à côté de vous, le son des cloches des églises... tu te croirais dans une sorte de Moyen-Age occidental idéalisé.
Et plus tu te rapproches, plus le château te paraît grand. De grands étendards verts flottent au sommet de chaque tour.

"En tout cas c'est réellement charmant." dis-je sincèrement.

Vous êtes accueillis dans le bourg, puis dans le château, avec un faste étonnant. Le palais, sans être, loin de là, aussi impressionnant que celui d'Ambre, est d'une qualité architecturale digne de ceux que tu as pu croiser dans les Ombres très voisines d'Ambre. Le personnel lui-même - notamment serviteurs et servantes qui sont inclinés à votre entrée - te rappelle ceux des cours du Cercle d'or.

Ida, qui te quitte un instant pour donner des instructions, revient dans ta direction.

- Si vous le souhaitez, nous vous avons fait préparer des appartements. Je vais devoir vous abandonner quelques temps à nos serviteurs".

La jeune fille est des plus rayonnante.

Ida semble hésiter un instant, comme si elle était aussi un peu perdue.

- Oh, mais nous sommes dans les cycles tardifs, déjà. Le soir, à Ambre."

Sur un dernier sourire charmant, elle se retire.

Deux serviteurs, en livrée verte, viennent se présenter à toi pour te proposer de t'accompagner dans une chambre d'ami.

Je les accompagne bien volontier.

"Quand sera le prochain repas ? Le souper je suppose ?"

Les serviteurs te parlent de cycles et de rayons abyssaux : visiblement, la manière de compter le temps dans ce secteur des Cours.

La chambre ressemble beaucoup à celle qui est la tienne à Ambre, en plus petite cependant. Le style des boiseries est un peu démodé et surchargé, mais est incontestablement structuré, ordonné, de manière d'ailleurs exagérée : tout est rangé avec une telle perfection que tu aurais presque honte de prendre quelque chose ou de te coucher dans le lit...

J'essaie de comprendre dans combien de temps sera le prochain repas et s'il y a une bibliothèque à laquelle je pourrais accéder.

Apparemment, il reste encore une grosse heure ambrienne avant le repas du soir.
Il y a une forme de bibliothèque, mais, si elle est incontestablement de style "humain", elle est dans un désordre rare et, à la différence d'Ambre, sans bibliothécaire en vue.

Je regarde si les livres sont du même tonneau que celui qui m'a été donné.

Tu en retrouves du même style. Beaucoup, en fait.

La plupart sont écrits dans des langues qui ne te rappellent rien. Quelques autres racontent l'histoire de la Maison de Coris en Tharie. Il y a également plusieurs ouvrages sur l'Abîme - qui voisine immédiatement les Passes, et dont le seigneur est maître de la guide des Plongeurs, une catégorie de seigneurs du Chaos qui semblent avoir pour activité d'explorer les zones supérieures du grand vide.

Peut-être trouveras-tu d'autres choses, mais il va falloir farfouiller, limite spéléo...

Dans ce cas je laisse tomber et je me balade dans le palais.

Y a-t-il beaucoup de serviteurs ?
Est-ce grand ?
Y a-t-il des choses intéressantes à voir/entendre ?

Tu évalues l'ensemble des serviteurs actifs à plus d'une vingtaine. Comme il y a sûrement également du monde en cuisine et d'autres serviteurs pour des tâches diverses, cela doit bien faire une quarantaine, plus une quinzaine de gardes. On est loin de l'armada d'Ambre, mais la taille n'est pas la même.

Tous sont à l'évidence des démons - tu surprends parfois quelques métamorphoses rapides - mais manifestement habitués à cet environnement très ordonné et se faisant bien à leur forme humaine.

Les lieux sont de bonne taille : un beau château, ressemblant à ceux de la bordure du Cercle d'Or, les plus proches des reflets d'Ambre. Le grand hall, notamment, ressemble beaucoup à celui du Palais du Kolvir : dallages de marbres noirs, murs blancs, grandes colonnades en pierres irisées, et surtout tentures brodées couvrant les parois. Les scènes représentées sont des plus triviales, mais très pacifiques par rapport à celles visibles à Ambre.
L'une d'entre elles est d'ailleurs particulière : tu y reconnais indiscutablement Ida, accompagnée d'une autre fille, brune et plus grande, toutes deux accueillies à bras ouverts, pour une occasion indéterminée, par un grand homme brun portant une tenue verte et noire.

Cette tenue verte et noire me rappelle-t-elle les armes d'un des ambriens ? D'un chaotique peut-être ?

Rien qui te revienne à l'esprit pour le moment.
Sur la broderie, tu finis par repérer un texte qui raconte, en Thari classique, comment le Duc Coris, après la mort de son fils, adopta ses deux petites filles Laurianna et Ida.

Ok, je continue ma balade.

Le lieu le plus spectaculaire du château est le grand belvédère : une vaste voute te permet de te retrouver en plein air, immédiatement face au gouffre colossal, cyclopéen, de l'Abysse, distant d'à peine un kilomètre, mais qui s'étend ensuite jusqu'à l'infini.

Le ciel n'est plus qu'une myriade d'étoiles, en fait évanescences d'énergie qui vont et viennent, suivent une trajectoire folle puis retombent dans ce coeur de l'entropie. L'obscurité qui y règne semble si profonde, si terrifiante que, si tu pouvais en douter, tu es désormais bien convaincu d'être face au début et à la fin de toutes choses, un lieu qui contient en lui une puissance si gigantesque qu'aucune autre force ne peut espérer s'y opposer.

Il n'est pourtant pas sans animation : tu devines clairement des silhouettes ailées qui survolent l'abîme et y plongent régulièrement.

Je cherche des yeux un serviteur pour lui demander ce que font ces silhouettes. Sont-ce des démons ?

Tu touches là un point sensible, car les serviteurs que tu interroges semblent se refuser à te répondre.

Le dernier finit par cracher le morceau.

- Nous ne sommes pas en droit d'en parler, nous de rang inférieur. C'est la guide des plongeurs, dont notre duc est le grand maître..."

De manière parfaitement courtoise et avec des accents de sollicitude envers son sort je lui réponds :

"Je ne voudrais pas vous attirer des ennuis à ce sujet et croyez bien que je ne répèterai à personne que vous ayez pu m'en parler, mais quelles sortes de choses vont-il chercher en plongeant dans cet Abîme ?"

Le serviteur n'est pas très à l'aise.

- Je ne sais pas très bien... Les Plongeurs adoptent des apparences qui leur permettent d'absorber certaines énergies provenant des Abysses... mais j'ignore ce que l'on en fait ensuite. On dit que l'intérêt est purement historique, pour retrouver les traces des débuts des Cours..."

Je le salue puis le laisse aller et continue de me balader dans le château en attendant le repas.

Un homme grand mais un peu voûté et grisonnant, portant un uniforme de serviteur haut gradé - chambellan, peut-être - se porte à ta rencontre.

- Toutes mes excuses, on ne m'a prévenu que tardivement de votre présence. Si vous désirez quelque chose en particulier, un renseignement, visiter quelque chose, je suis à votre disposition..."